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8 août 2013 4 08 /08 /août /2013 20:45

Les salauds de Claire Denis est un film qui laisse un sale goût. Je suis ressorti très mitigé de la salle du MK2 Odéon. Le film avec Vincent Lindon, Chiara Mastroianni et Lola Créton avait déjà divisé le festival de Cannes, les uns applaudissant à l’inventivité narrative de la scénariste et réalisatrice, les autres au côté brouillon ou caricatural des thématiques traitées.

 

Commençons par un rapide synopsis: Mario Silvestri (Vincent Lindon) le commandant de bord d’un supertanker reçoit un appel de sa sœur Sandra (Julie Bataille)  : celle-ci lui apprend que son mari s’est suicidé et lui demande de l’aide, elle est manifestement en grande difficulté. Lors de son escale, Mario « lâche » donc son navire et regagne précipitamment Paris. Sa sœur lui brosse une situation catastrophique : l’entreprise familiale de chaussure est en faillite – du fait d’un homme d’affaire véreux avec qui son mari était lié, Edouard Laporte (Michel Subor), leur fille unique est en hôpital psychiatrique car elle vient de faire une tentative de suicide. Mario rencontre le médecin qui lui brosse un tableau très noir de l’état de la jeune fille, droguée, abimée sexuellement. Pourquoi ? Comment ?  Qu'est ce que c'est que cette histoire ?

 

La narration de Claire Denis est très elliptique, les scènes en mosaïque, on voit par exemple la jeune fille déambuler nue dans la rue comme absente à elle-même du sang coulant d’entre ses jambes  – cela fait penser à du David Lynch dans Twin Peaks ou Mullholand Drive – et on ne sait parfois pas si les scènes sont réelles ou fantasmées. Mais ce qui pénètre le spectateur au fur et à mesure qu’il découvre, en même temps que Mario, ces nouvelles informations, c’est le glauque.

 

Fort des révélations incomplètes de sa sœur, Mario entreprend initialement de se venger du « pourri » qui serait le coupable de la mort de son frère  l’homme d’affaire Edouard Laporte et loue le grand appartement au-dessus de chez lui. Il découvre alors sa maitresse (interprétée par Chiara Mastroianni) et la séduit. Peut-être en tombe amoureux. Cette dernière n’aime plus vraiment son amant  mais accepte complaisamment son sort, une vie de nantie solitaire avec son petit garçon comme compagnon qui occupe ses journées. Laporte est rarement là et quand il est là, il est impuissant. Mario s’engouffre dans la brèche, le vide de la femme délaissée et les scènes de séduction et de sexe sont torrides. Est-ce une vengeance ? On sent que Mario avec son pistolet a du mal à passer à l’acte et est pris dans "autre chose", une histoire qui le dépasse. Une rixe dans laquelle il a la main blessée, peut-être par les gardes du corps du magnat semble indiquer qu’il a tenté quelque chose.

 

Et puis il enquête aussi sur ce qui a pu causer la déchéance de sa nièce. Et tombe sur un couple malsain isolé dans une maison de campagne avec qui la jeune fille semblait avoir des activités sexuelles perverses. Dans ce qui semble être un miteux lupanar, au grand divan rouge souillé, Mario retrouve des épis de maïs ensanglantés (et on pense immédiatement à Sanctuaire de Faulkner où une jeune femme est violée de cette manière. Il me semble d'ailleurs de façon plus générale que Faulkner ai été une source d'inspiration dans la façon de raconter l'histoire par bribes décousues, en tout cas beaucoup plus que Les Salauds dorment en paix de Kurosawa...). Les scènes trash de sexe et de viol étaient manifestement filmées pour être monnayées. Plus tard Mario pourra visionner des scènes différentes où sa nièce apparait en compagnie de l’homme d’affaire, Laporte…et de son propre père. La jeune fille semble consentante. Et l’on comprend que les liens entre l’homme d’affaire et le père étaient beaucoup plus malsains et complexes que la description faite initialement par Sandra à son frère. On suppute aussi des non-dits concernant la famille de Mario, la raison pour laquelle il s'en est éloigné, "prenant le large", la passivité complice de la mère...

 

On s’enfonce progressivement dans un univers très noir, et ce de façon non linéaire et décousue, inhabituelle. Sur ce point, je trouve le film plutôt positif. Il innove dans la narration, les acteurs sont globalement bons (Vincent Lindon magistral heureusement !), les images, scènes, saisies des postures et des corps excellentes, c'est la force habituelle de Claire Denis. Mais le scénario sombre par contre dans des clichés chers à l’époque que la cinéaste pressée semble avoir remixé avec un shaker un peu trop rapidement : une pincée de grand bourgeois financier véreux, une entreprise en difficulté, des transgressions en veux-tu en voilà, des déviances sexuelles, une pincée d’inceste, les mensonges de tous les protagonistes, tous des salauds finalement on l’a bien compris... Le « héros » du film finit pas être lui-même happé par toute cette merde et disparaitre avec au final. Trahit. On voit ce film et on a envie de tirer la chasse pour faire disparaitre tout ça, cette noirceur nauséabonde.

 

Claire Denis m’avait habitué quand même à mieux et j’avais crié « au génie » durant plusieurs années pour « Beau Travail ». Comment une femme avait-elle pu aussi si bien filmer la Légion Etrangère - univers masculin par excellence - à Djibouti, deux univers que je connais très bien pour les avoir plus que côtoyés durant plusieurs années...Mais telle un génie fragile, elle est forcément inégale dans sa production, et je lui pardonne cette errance. Cet air rance et morbide. Trop de clichés. Allez Claire, re-filme nous magistralement l'Afrique que tu connais si bien,  les Antilles de 36 Rhums, la négritude, il y a tellement à dire encore sur ces mondes...

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6 août 2013 2 06 /08 /août /2013 22:21

LA GRANDE BELLEZZA , c’est-à-dire « La Grande Beauté » est un film du réalisateur italien Paolo Sorrentino (connu pour Il Divo un film montrant les liens entre la mafia et la politique qui avait été primé à Cannes en 2008).

 

 

La scène initiale du film se passe dans un palais romain où un groupe de japonais prend des photos de tout, alors qu’une chorale de jeunes italiennes chante dans le décor sublime d’une galerie en arrière-plan ; l’un des touristes japonais succombe à une crise cardiaque alors qu’il mitraille le paysage de son appareil photo numérique.

 

 

Puis la caméra se déplace dans une fête déjantée, berlusconienne, où l’on découvre une galerie de portraits improbables, artistes, divas sur le retour, starlettes sexy, hommes d’affaires en vue, stars de la télé, naine, etc… Les scènes ont quelque chose de très réaliste et d’excessif à la façon du néo-réalisme Fellininien. On découvre alors dans ce « voyage au bout la nuit » (l’œuvre de Céline est citée dans le film) Jep Gambarella (interprété par Toni Servillo l’acteur fétiche de Paolo Sorrentino , un dandy vieillissant qui va fêter son 65ème anniversaire et qui semble bien connaitre tout ce beau monde.

 

 

Ecrivain ayant connu un grand succès pour son unique ouvrage écrit quarante ans ans plus tôt, « l’appareil humain », il n’a plus rien publié depuis, peut-être par paresse ou plutôt par crainte de ne pouvoir faire mieux, paralysé peut-être par la difficulté d’écrire sur la « Beauté » aussi insaisissable que le « Néant » que n’a jamais réussi à décrire son modèle littéraire Flaubert. Il est donc devenu journaliste pour une revue sur l’Art contemporain et mondain. Jep, vieux célibataire séducteur semble porter un regard d’esthète désabusé, revenu de tout sur la vie. Il vit dans un bel appartement dont la magnifique terrasse, ou digressent ses amis, artistes frustrés, mondains et journalistes, donne sur le Colisée symbole de la grandeur et de la décadence de Rome.

 

 

Car l’on sent confusément que le film montre aussi la grandeur perdu d’une l’Italie déclassée par la crise économique, et à laquelle il ne reste plus qu’un « certain style », un goût pour la forme, la performance et les joutes oratoires, parfois acerbes. Quelque moments de Grande Beauté parsèment la vie de Jep et le film, des promenades dans des parcs merveilleux, des jeux d’enfants, des visites nocturnes de palais et de musées avec un curieux compagnon boiteux qui ne se sépare jamais de sa valise contenant les clefs d’accès à toutes ces merveilles en sommeil, des promenades le long des canaux au contact de la nature omniprésente dans la ville. Jep est sensible à cette beauté, il la vit. Les scènes sont magistralement bien filmées à l’aide de travelling avant et arrière qui permettent de mieux en saisir la profondeur, la magnificence.

 

 

Jep aimerait ré-écrire mais il semble « victime de sa sensibilité », pris dans la nostalgie et la vacuité des fêtes mondaines comme échappatoire. Un événement affecte soudainement notre héros, son amour de jeunesse qui l’avait quitté est morte, c’est son mari éploré qui le lui annonce, il a retrouvé le journal de son épouse qui le cite à peine, elle est demeurée toute sa vie amoureuse de Jep… Le vide et le temps perdu semblent à ce moment plus vertigineux encore. Ses interviews « d’artistes conceptuels » comme cette femme se lançant nue la tête la première dans le mur, cette gamine en colère, gémissante jetant des seaux de peinture de couleurs différentes sur une gigantesque toile sous le regard admiratif de ses parents et des invités, lui semblent absolument ridicules. Et aussi ce chirurgien qui botoxe à la chaine toute la population qui ne supporte pas sa propre « réalité ». Du temps perdu.

 

Il rencontre la fille d’un ami, strip-teaseuse quarantenaire « qui devrait songer à se marier » et noue plus qu’une amitié avec elle, jusqu’à ce qu’elle lui révèle qu’en fait elle dépense tout son argent dans des soins car elle est très malade. Elle meurt. D’autres personnes meurent ou disparaissent durant le film et la carapace de Jep qui semble à l’aise pour donner des conseils cyniques sur la façon de se comporter aux enterrements, se faire voir, avoir le bon mot auprès de la famille éplorée, semble se fendre. Il pleure au décès du fils d’une amie, il est peu à peu rattrapé par sa sensibilité. Alors qu’il rencontre un cardinal – ancien exorciste – lors d’une garden-party il tente de lui poser une question sur la spiritualité. Mais le cardinal est à l’image de son entourage et de son époque et ne veut parler que de ses compositions, ses recettes de cuisine qu’il expose doctement, à la manière d’un prêche. Vide et fatuité.

 

 

Une sœur, qui aurait fait « des miracles », vieille de cent quatre ans, et ayant fait vœu de pauvreté visite le cardinal. Jep, sur la demande de son amie et patronne tente d’organiser une interview en invitant la « sainte » chez lui. Alors que lors du repas, aux questions posées, son « assistant" ecclésiastique répond systématiquement pour elle, Jep finit par la faire parler et l’on sent que quelques réponses enfin sérieuses sont apportées. « Je ne mange que de racines. Vous savez c’est important les racines ». Puis, la sœur disparait subitement de la soirée et Jep la retrouve sous une couverture, ronflant paisiblement dans son salon couchée à même le sol. Le lendemain matin à l’aube une scène sublime l’enchante, la vieille est là assise sur le balcon et de nombreux flamands roses ont choisi ce lieu, la terrasse de Jep, pour faire une halte dans leur  migration au long cours. Ils s’envolent au souffle de la Sainte. Jep entrevoit peut-être à ce moment la possibilité de la Grande Beauté au travers de la spiritualité, du mysticisme et l’on espère enfin qu’il sera capable lui aussi de se ré envoler vers l’écriture, inspiré par le souffle divin.

 

 

Un très beau film, très tendre, vraiment.

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25 mai 2013 6 25 /05 /mai /2013 12:11

Le Pouvoir est un film documentaire sur les huit premiers mois de l’exercice du pouvoir par le président François Hollande. Ce n’est pas un film sur le président lui-même bien qu’il en soit le personnage principal, ni contrairement à ce que le titre suggére un film sur le pouvoir, c'est à dire la capacité à créer, transformer, changer les choses.

 

 

Le film du réalisateur Patrick Rotman nous montre essentiellement trois choses : L’Elysée avec son cadre fastueux, l’agenda du président, l’ »importance » générale attachée à la forme que ce soit dans le protocole ou plus encore dans la communication.

 

 

Le documentaire est donc l’occasion de suivre le président et son entourage dans toutes les salles et salons du Palais dont l’architecture extérieure est typique des styles Louis XV puis Napoléonien. La décoration intérieure est surchargée d'ornements, d'objets précieux, de tableaux et les couleurs de boiseries, d’or et de rouge sont prédominantes. On découvre Le vestibule d'Honneur pavé de marbre blanc de carrare, orné de pilastres doriques, l’escalier Murat qui s'enfonce discrètement dans le mur Est du vestibule d'honneur et débouche sur l'antichambre du bureau du président, les salons Pompadour et Cléopâtre, salons des Portraits et Doré qui tiennent lieu de bureaux au président de la République selon les saisons, le salon Murat pour le conseil des ministres, la salle des Fêtes pour les réceptions importantes etc. Dans ces lieux prestigieux, on cotoie le personnel, les majordomes, gardes républicains, chefs de cabinets et on y rencontre les ministres et invités de marque.

 

 

Le lieu est surchargé d’objets, de peintures, de dorures et l’on peut sentir le décalage important entre le travail quotidien de l’équipe présidentielle composée (indépendamment des titres de "chargés de la communication") d'avec la pompe, le protocole, le soin extrême donné à l'apparence et à l’ordre des choses. L'agenda est essentiellement rempli de réunions dont l’objet est la communication. On découvre ainsi, en spectateur discret de ces meeting de travail, l’attention extrême que porte le Président à l’écrit, à la rédaction, au contenu, aux discours. Le président charge ses conseillers de rédiger des documents, relis, critique, note et corrige. Parfois ré-écris complétement. Pour quiconque a déjà vécu en entreprise cela ressemble en tous points au travail quotidien d’une direction de la communication.

 

 

Viennent ensuite les réunions de "feed-back" où le président avec son premier ministre va débriefer des réactions à l’assemblée nationale, avec son ministre de l’économie des « réactions » des marchés et donc des taux d’emprunts, avec le photographe de son image etc.

 

 

Rapidement le titre même du film est mis en question… , « Le Pouvoir ». Oui mais quel pouvoir exactement ? Ou que reste-t-il exactement du pouvoir face à cette tyrannie de la communication ? Les seuls moments où l'on sent un véritable pouvoir, ce sont dans les rencontres avec les militaires, chefs des armées, et ministre des affaires étrangères Laurent Fabius à propos notamment des opérations extérieures, dont la guerre au Mali.

 

 

On découvre dans ce documentaire un président sympathique, à l'écoute, et qui en « voix off » explique un certain nombre de choses de façon très didactique. On comprend qu’il a conscience de la responsabilité de sa tâche, des risques associés à celle-ci et qu’il entend les assumer. Mais on découvre surtout, et finalement c’est de cela que parle le film, un attachement extraordinaire à la forme. Comme si, privé de pouvoir en nombre de domaines, la forme était ce qui pouvait garantir la tenue, la consistance, de ce qui reste.

 

 

En cela le documentaire montre quelque chose de cruel et d’inquiétant. Une forme d'impuissance digne, emmurée dans un cocon chargé d’histoire prestigieuse à l’architecture fastueuse et solide, ordonnée par la symétrie des lieux, la parfaite tenue des corps au service, les agendas, le protocole parfait. Tout cela donne une impression de maîtrise. Mais c'est une puissance symbolique d’où l’agir direct semble relativement absent.

 

 

Ce documentaire est intéressant et inhabituel. Voir un président en début d’exercice accepter des caméras sur son lieu de travail est surprenant et on se dit que ce dernier est tout sauf un président "normal". Le spectateur peut être frustré de ne « participer » qu’aux débuts de réunions pour voir ensuite les portes se clore et en être exclu. On aimerait évidemment assister à des débats plus importants plutôt qu’à de simples briefs. Mais ce qui est montré est déjà très intéressant et révélateur : Une forme particulière.

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13 mai 2013 1 13 /05 /mai /2013 11:37

Annah Arendt est un bon film de la réalisatrice allemande Margarethe Von Trotta’s avec Anna Sukowa dans le rôle de la philosophe. Ce n’est pas un film sur la vie de la philosophe, ni malgré la présence de scènes du procès du criminel de guerre nazi d’Adolf Eichman à Jérusalem un film sur ce célèbre procès. Non, ce film traite de la quête de la vérité des faits envers et contre tout au risque de déranger les préjugés, le conformisme et les intérêts. C’est aussi un film qui montre le courage et la rigueur qu’exige la démarche philosophique, la difficulté de la raison à se faire entendre dans des environnements perturbés par les émotions.

 

 

En 1961, Annah Arendt qui est déjà une philosophe célèbre pour avoir écrit « Les origines du totalitarisme » décide d’assister au procès du criminel de guerre nazi Eichmann. Elle couvrira l’événement et écrira des articles pour le très réputé journal « The New-Yorker ». Annah Arendt a elle-même vécu en Allemagne, a été déportée et son œuvre a été fortement marquée par son expérience. En arrivant à Jérusalem où elle retrouve une partie de sa famille, elle découvre en assistant au procès l’homme Eichmann. Elle voit des procureurs faire le procès de la déportation et des camps de concentration, de la Shoah, mais malhabile à faire le procès de l’individu. Eichmann aux accusations se portant contre lui, se défend systématiquement, avec la rigueur d’un fonctionnaire borné expliquant qu’il n’était qu’un rouage intermédiaire d’une chaine logistique. Il était responsable des transports, essayait de faire son travail du mieux possible, avait juré par serment être fidèle au Führer et ne faisait somme toute qu’obéir à des ordres. Annah Arendt qui s’attendait à voir un monstre, enfermé pour la précaution dans une cage de verre, est stupéfaite : ce qu’elle voit là en réalité est un homme banal, un fonctionnaire borné, conformiste et dans l’incapacité de penser les raisons et les conséquences de son action. Elle en déduit, constatant la banalité de l’homme commun enfermé dans son conformisme, la banalité du mal. Elle semble aussi désolée que le procès ne soit pas le procès de l’individu et des vérités de fait le concernant.  Eichmann révèle par ailleurs que la collaboration de nombreux comités juifs aux rafles ont permis d’améliorer le processus de déportation.

 

 

De retour à New-York, Annah Arendt entreprend d’écrire ses articles pour le New-Yorker. Le comité éditorial les lit et pressentant les risques et la gêne provoquée à publier intégralement le reportage tente de convaincre Annah Arendt de supprimer certains passages, les plus gênants.  Celle-ci refuse et, courageusement, le New-Yorker les publie dans leur intégralité provoquant un séisme d’une ampleur inattendue.  Annah Arendt est insultée, traitée de collabo des nazis. Elle est menacée, perd certains de ces meilleurs amis et est même rejetée par sa famille en Israël.  On tente de la faire démissionner de son poste de professeur de philosophie à l’université, sans succès. Dans une conférence magistrale où elle entend s’expliquer devant les professeurs et les étudiants, elle défend ses thèses de la banalité du mal, de la source du mal dans l’incapacité à penser (c'est-à-dire s'interroger sur soi, sur ses actes, sur la norme) et la soumission absolue à l’autorité.

 

 

Eichmann est condamné à mort et pendu et Arendt dit qu’elle en est contente, qu’il méritait d’être condamné. Pour Arendt, il était coupable et impardonnable. Mais il a été mal jugé. Ses amis, reprochent à Arendt d’être « froide » et de ne pas verser dans l’émotion.

 

 

Margareth Von Trotta nous livre à travers ce film, un véritable cours de philosophie morale. Il est question de responsabilité, de faculté de juger, du mal, du courage et de l’incessant combat de la raison face aux émotions.

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19 février 2013 2 19 /02 /février /2013 18:22

The Master est un excellent film de l’enfant prodige du cinéma américain Paul Thomas Anderson.  Il relate l’histoire d’un «groupe thérapeutique » ou d’un « groupe de croyance » si l’on préfère, dans les années 50 peu après la guerre, dans une Amérique encore sonnée et où souffle un vent de liberté. L’évocation en filigrane est celle des débuts de la scientologie et de son gourou Ron Hubbard. 


« The Master »,  Lancaster Dodd, le Maître, est joué par Philip Seymour Hoffman personnage charismatique et sympathique dans ce film sans parti pris. L’histoire contée relate la rencontre de ce dernier avec un « paumé »  psychologiquement fracassé par la guerre du Pacifique et s’abimant dans l’alcool, incapable de maitriser ses pulsions sexuelles et sa violence qui sourdent en permanence.

 

Il transperce malgré tout quelque chose de profond dans le personnage de Freddy   joué magistralement par Joaquim Phoenix, au corps nerveux, déformé, tordu comme sa psyché . Une sorte de d’âme d’artiste, esthète perfectionniste, profondément épris de liberté mais prisonnier de ses pulsions et de sa tendance à l’autodestruction. Un gachis.  Freddy va donc un jour d’errance alcoolisée  fuir une fois de plus sa vie  et s’embarquer au hasard sur un petit bateau de croisière.  Il y rencontrera l’assemblée improbable des premiers disciples du Master et sera fasciné par le charisme et l'attention de ce dernier. La fascination sera réciproque, Le Maitre s’attachant à son élève et à ses faiblesses, en faisant le cobaye de ses théories thérapeutiques et travaillant avec acharnement à sa transformation.

 

Le film est riche en « séquences thérapeutiques » techniques, des sortes de « jeux de la vérité » épuisants où il s’agit de répondre instantanément à des questions sans cligner des yeux, des séances d’hypnose, des exercices répétitifs induisant inévitablement des états de transe etc.  A travers la progression évidente de l’élève, on assiste aussi aux progrès du « mouvement »,  les premiers meetings de province,  les réunions improbables chez des sponsors, les mises en scène de « révélations » des écrits, du Maitre « La Cause », les succès.  L'histoire se construit avec habileté.

 

Freddy témoignera souvent de façon  violente de sa fidélité au mouvement, de son attachement inconditionnel au Maitre, et sera intégré au « premier cercle » quasi familial, partageant aussi les doutes et les faiblesses du Maitre et de son mouvement, ses crises de nerf, ses succès.  Et puis un jour, le Maitre propose à son disciple une sorte d’expérience ou de divertissement si l’on préfère : rouler à fond de train en moto dans le désert en fixant un point fixe. On devine à ce moment un basculement de l histoire… Freddy enfourche la moto et disparait à l’horizon reprenant sa liberté…et laissant Le Maitre sidéré et on le suppose, admiratif. On comprend à ce moment ce qui chez Freddy fascinait le maître : son caractère absolument imprévisible et sa totale liberté. 

 

On suit ensuite Freddy  pour constater qu’il a bien  évolué, maitrisant  mieux sa violence et ses pulsions, après des années d’exercice. Il revisite les traces de son passé avec recul, semble reprendre une nouvelle vie libre plus sereine. Et puis un jour, plusieurs années sa disparition, « The Master » le retrouve, et lui envoie un courrier pour le rencontrer. Freddy se présente au rendez-vous. Le Mouvement s’est développé de façon impressionnante en une véritabe Eglise avec son catéchisme et a essaimé de nombreuses écoles remplies d'élèves en uniformes.  Le bureau du Maitre est somptueux, comme une chaire tronant au milieu d'une nef ouvragée. Celui-ci est toujours flanqué de sa femme qui constitue la figure forte du film dans la mesure où sa conviction et son contrôle sont omniprésents et probablement essentiels à l'essor du mouvement et à la persistance du Maitre dans ses moments de doute. Elle régente tout et est la garante du dogme.  Le Maitre demande  à Freddy de rester auprès de lui  mais celui-ci décide tout de même de partir, assumant cette fois ci totalement  sa liberté, sans fuite. 


Ce film m’a beaucoup plu à plusieurs titres :

 

 

-         Il aurait été facile, simpliste, de tomber dans la caricature d’un mouvement dit « sectaire » mais Paul Thomas Anderson n’est pas entré dans ce piège. Cela montre peut être aussi une différence culturelle essentielle entre les Européens et les Américains dans l'attachement à la liberté d’expression, la possibilité de création de « mouvements de croyance » divergents, tels actuellement par exemple les églises évangéliques. Force est de constater dans le film que Dodd (The Master) est un personnage très sympathique et charismatique.  On pressent parfois la possibilité de dérive « sectaire » à travers l’intransigeance et la dureté de sa femme, l’impossibilité de contradiction en sa présence, la « violence potentielle » du premier cercle de fidèles, et le peu d'échange extérieur. Mais le film ne juge pas.


-          Les acteurs sont excellents,  le film très « esthétique », les huis clos hypnotisant et les scènes d’extérieurs sont magistrales, prises à la caméra 70mm très précise.On s'y croirait !

 

 

-          Le film commence et se termine bizarrement, finalement dans une touche de liberté. On se laisse conduire dans cette histoire, relation complexe Maitre-Elève, fascination réciproque, amitié inconditionnelle et prise de liberté sans vraiment de fil conducteur. Freddy est comme un « chien un peu fou et malade » qui a été apaisé, recueilli, éduqué, à beaucoup donné en retour, mais finit par privilégier à tout sa liberté.

 

Et on ressort de la salle avec ses propres réflexions et  questions, cherchant un sens à cette excellente histoire...

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4 février 2012 6 04 /02 /février /2012 14:07
Take Shelter est une bonne surprise récente du cinema indépendant américain, fruit d'un jeune réalisateur de trente trois ans, Jeff Nichols. Curtis Laforche (interprété magistralement par un Michael Shannon halluciné) est un bon père de famille marié à une femme aimante et père d'une petite fille légèrement handicapée car sourde. Ils ont apparemment tout pour être heureux, une jolie petite maison, un travail, de bonnes relations sociales, des projets.

Mais, dès les premiers instants du film, le ciel s'assombrit dangereusement et des orages violents semblent sur le point d'éclater. De grosses gouttes de pluie jaunâtre tombent sur les mains de Curtis qui observe inquiet les nuages menaçants et les éclairs lointains. De curieux vols d'oiseaux, forment en l'air comme des signes, de mauvais présages. Puis Curtis est en proie à de violents cauchemars, toutes les nuits, dans lesquels la tempête est omniprésente et rend les humains et les animaux fous.

Ces rêves ont une influence très forte sur sa vie : Il les traite avec gravité, comme des avertissements, et est amené ainsi à se méfier de son chien et de ses meilleurs amis qui ont hanté certaines de ses nuits. La vision apocalyptique d'une tornade emportant tout l'obsède et, persuadé que celle-ci est imminente et qu'il doit tout faire pour protéger sa famille, il se met en tête de construire un abri souterrain dans son jardin : The Shelter.

Pour réaliser son projet délirant, il est amené à s'endetter, a emprunter illégalement des engins de construction à son employeur, à se mettre à dos la société à laquelle il appartient. Il finit par perdre son travail et ses amis qui le traitent de fou irresponsable. On réalise à ce moment à quel point la vie de la Middle Class américaine peut être précaire, reposant en un équilibre fragile sur l'emprunt et l'emploi.

La véritable héroïne du film est la femme de Curtis qui fera tout pour aider son mari, l'amenant à consulter psychologues et psychiatres pour le soigner, échafaudant des projets pour s'en sortir, ne le laissant jamais tomber. Curtis lui même est conscient qu'il a un peut être un problème grave - possiblement hérité de sa mère qui a été internée jeune car schizophrène et paranoïaque -. Alors qu'il continue ses travaux fous malgré tout pour "sauver" sa famille, il entreprends aussi des recherches en solitaire sur sa possible folie.

Là ou le film réalise à mon sens une prouesse c'est qu'il est très solidement ancré dans le "réel" celui d'une petite banlieue de l'Ohio, d'une famille traditionnelle, des réunions ouvrières ou rencontres sociales. Et de temps en temps il bascule dans la possible hallucination ou le délire du huis clos (dans l'abri lors d'une réelle tempête). Les manifestations climatiques extraordinaires semblent être métaphoriques des changements d'humeur de Curtis. Cet ancrage dans le "réel" fait que l'on peut assez facilement s'identifier aux personnages principaux, avec empathie.

Jeff Nichols d'ailleurs, accompagne avec une grande sympathie son "héros" dans le film, ne lui donnant pas vraiment tort dans son besoin viscéral de protéger envers et contre tout ce qui lui est le plus cher, sa famille, si coûteuses et risquées soient les solutions trouvées. La dernière scène, dont on se demande si elle est rêvée ou non, semble même donner ultimement raison à Curtis dans ce qui apparait à postériori comme prophétique.

Take Shelter, tout comme "La Route" de Cormac Mc Carthy ou Melancholia de Lars Von Triers, a bien sa place parmi les oeuvres apocalyptiques actuelles ou de sourdes menaces, hyperlibéralisme débridé, crise économique, crise climatique, catastrophes technologiques, menacent d'emporter dangereusement le dernier noyau social stable de l'époque : la famille.

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2 février 2012 4 02 /02 /février /2012 18:11
Vu donc récemment ce film inattendu de la part de Cronenberg que l'on connait essentiellement pour ses films sur le Corps transformé ou exploré jusqu'aux viscères (La Mouche, Faux-Semblants) ou fusionné avec la Technologie (Videodrome, existenZ, ou le magistral Crash d'après l'oeuvre de J.G. Ballard).

Dans ce film presque calme à l'image de la Suisse ou de Vienne, et de la bonne tenue de rigueur des débuts du XXeme siècle, Cronenberg nous relate les débuts de la psychanalyse à travers la rencontre entre son fondateur, Freud, et celui - Carl Gustav Jung - qui de disciple et héritier potentiel, fera sécession avec son père spirituel. Au milieu de cette rencontre éclairante pour ceux qui s'intéressent au sujet, une jeune Russe d'origine juive, Sabina Spielrein aura son importance et sa part d'Histoire. Sabina est d'abord envoyée en Suisse par ses parents au Docteur Jung pour soigner une grave hystérie. Celui ci sera fasciné par cette patiente dont le corps exprime les contradictions et pulsions de façon spectaculaire. Progressivement guérie, elle deviendra son amante, et à son tour, après s'être séparée de Jung - malgré tout fidèle à sa famille - deviendra une psychanalyste réputée sous la houlette de Freud. Elle contribuera ensuite à l'établissement de la psychanalyse en URSS. Cronenberg utilise dans son film, l histoire de Sabina Spielrein, pour raconter les débuts de la coopération entre Freud et Jung, puis leur opposition progressive et enfin violente.


Freud cherchait en ce début de siècle à rendre la psychanalyse "fréquentable" à une époque ou elle était essentiellement vue comme émanant du milieu juif viennois. Jung, jeune protestant suisse, aryen, faisait figure de "gendre idéal" à marier a cette jeune Pratique prometteuse en recherche de respectabilité et de lettres de noblesse. Mais alors que Freud voyait essentiellement les problèmes psychologiques au prisme des refoulements sexuels surtout lors de l'enfance, et tentait de donner des fondements scientifiques expérimentaux à sa Science nouvelle, Jung apparaissait comme un mystique, fasciné par les figures religieuses, les phénomènes surnaturels, l'ésotérisme même, parlant d'un continent inexploré à découvrir.

Il y a quelques pépites à mon sens dans ce film qui me font dire que Cronenberg a traité d'un sujet qu'il connait très bien.

A plusieurs reprises Jung dit "que son métier est d aider le Patient a retrouver sa liberté". Dans une séquence du film, Freud envoie à Jung pour une thérapie l'un de ses élèves Otto Gross (excellemment joué par Vincent Cassel). Otto Gross est un tenant de la liberté radicale. De Patient il va progressivement se muer en thérapeute de Jung - et on voit ici les liens forts Patients-Thérapeutes qui font qu'une rencontre de ce type n'est jamais neutre y compris pour le thérapeute transformé par la Rencontre... C'est au contact d'Otto Gross donc que Carl Gustav Jung assumera son amour pour Sabina Spielrein, transgressant ainsi sa déontologie et ses principes vis à vis de sa famille.

Il est aussi intéressant de voir dans le film que la guérison de Sabina Spielrein passe par une forme d'acceptation de ses refoulements, en particulier du plaisir qu'elle a éprouvé en se faisant punir brutalement par son père et qu'elle va sublimer en une sexualité masochiste assumée avec Jung. La Guérison n'est absolument pas une Normalité ou un Conformisme de masse (Merci Cronenberg pour ce rappel !).

J ai lu plusieurs articles de critiques sur ce film et n en ai trouvé aucune vraiment bonne a mon sens. J'ai même lu que le film penchait en faveur de Jung dans l'affrontement alors qu'il m'apparait a moi comme rendant hommage à Freud : Sabina Spielrein est guérie par la méthode Freudienne, elle se rangera du coté de Freud, deviendra son élève et sera une psychanalyste d'obédience freudienne. Enfin, on comprend aussi à travers ce film qu'à cette époque particulière (qui n'est pas la notre - rappel à Michel Onfray...) la Sexualité et la Contrainte des Corps engoncés dans des postures et des vêtements très contraignants, la soumission forcée des femmes et des enfants, la sexualité réprimée par une Autorité violente patriarcale et religieuse sont les causes principales des problèmes, des refoulements que le corps des malades vont parfois exprimer "hors d'eux même" spectaculaire. On retrouve le Cronenberg cinéaste du Corps ici, dans l'expression du Corps enfermé par l'Epoque. Un travail impressionnant et fidèle a été donné au Costume, au Vêtement de ce début du XXeme siècle.

Enfin, et c'est quelque chose que je n'avais pas "vu", et peut être qui m'échappe encore car il est difficile de s'imprégner à grande distance de l'esprit d'une époque, celle d'avant la Grande Guerre qui semble déjà sourdre à travers ce qui apparait comme trop tranquille et contraint, comme l'Inconscient qui devrait top ou tard s'exprimer violemment malgré le contrôle impuissant du Conscient : Le fait que Freud soit juif et que la psychalyse soit vue comme une science juive pour les juifs, tirée du mysticisme juif. Sabina Spielrein elle même est juive et semble comme commettre un péché en ayant des relations sexuelles avec un aryen, avant de revenir dans le giron "familial".

Ce film, et c'est peut être pour cela que je l'aime beaucoup, fait l'apologie de la Liberté. La liberté n'est pas facile, elle doit se conquérir. Elle n'est pas forcément agréable non plus. C'est un film sur la possibilité de choisir sa vie, sur le Courage... et sans éviter la douleur. Ce n'est pas un film de confort.

Merci David Cronenberg d'avoir réalisé ce film inhabituel et partagé avec nous votre vision, et rappelé les fondamentaux, à savoir l'objet même de la Thérapie.

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