La danse de la réalité est un film très original de l’artiste Alexandro Jorodowsky, qui s’est essayé au cours de sa vie à diverses formes créatives : poésie, films, bande dessinée (il a été longtemps le partenaire de Moebius avec lequel il a écrit entre autres la série l’Incal).
Jorodowski est né en 1929 à Tocopilla, petite ville minière et pauvre du Chili. Il est d’origine juive, déraciné comme ses parents, et vit une enfance difficile rejeté par des enfants indiens qui le considèrent comme différent car sa peau est blanche son nez pointu comme celui de Pinocchio, son sexe circoncis. Il subit aussi un père autoritaire qui veut faire de son enfant trop sensible quelqu’un de « fort » et le violente. Heureusement, sa mère protectrice et aimante, aux formes felliniennes, lui transmettra sa véritable force.
C’est cette enfance aux accents oniriques que Jorodowsky raconte dans ce film très atypique dans lequel il a fait jouer nombre de personnes de sa famille, recomposant de façon poétique et thérapeutique sa saga familiale. Jorodowsky est par ailleurs connu dans les milieux ésotériques comme une sorte de maître, éveilleur mystique, il est par exemple à l’origine de la pratique « psycho magique » qui s'aide du tarot divinatoire à des fins thérapeutiques. Son film est je crois emplit d’enseignements philosophiques et ésotériques discrets à qui veut bien les voir.
Absolument anticonformiste, probablement choquant pour beaucoup, à la façon d'un Pasolini, il s’exprime par une poésie crue.Il montre les corps humains nus, mutilés, la maladie, la mort, la décomposition et la recomposition, les blasphèmes et les rédemptions improbables. Les images et les décors du film sont dépouillés, Comme si l'artiste avait voulu simplifier au maximum la forme, l'image, les plans. Afin que le fond apparaisse.
Demeure ainsi la leçon de vie, l'énergie salvatrice immense, celle qui a pu faire de l’enfant Jorodowski le vieillard aimant qui l’accompagne et le protège aujourd'hui : l’amour inconditionnel d’une mère, la foi en son étoile, le pardon, la tendresse intacte. Et une prise de distance d'avec le réel où le bien est le mal d'autre chose et réciproquement. On pense au "Notre Père" de Tolstoï où l'écrivain mystique souhaite ardamment ce qui va lui arriver et donne ce sens en une totale disposition aux événements "Donne nous notre pain quotidien". Il montre comment des corps paralysés, rebelles à des conduites niant leur nature, peuvent guérir lorsqu'ils acceptent enfin ce qu'ils sont en sortant du déni. Parfois après un chemin de croix douloureux ou des rencontres providentielles comme Jorodowsky le montre à propos du père dans le film.
Jorodowsky a fait jouer à l’un de ses fils le rôle de ce père si particulier avec qui l'on comprend qu'il veut se réconcilier. Il a recréé, comme on apprend à le faire dans certaines pratiques thérapeutiques (je pense en particulier à la récapitulation chamanique) des fins positives à ses propres histoires. La mère qui rêvait d’être cantatrice s’exprime en chantant dans le film, le père intransigeant et dur revient après ses épreuves avouer sa propre faiblesse et tuer symboliquement cette image si dure qu’il s’était construite à l'image de son modèle d'alors, Staline : il guérit alors de ses maux.
Par la poésie, Jorodowsky donne cette leçon : Si l’on veut guérir il faut profondément accepter ce que l'on est au fond de soi. Le vieillard Jorodowsky protège l’enfant qu’il a été, lui rend hommage. Et c'est la respiration, la présence de ce dernier en lui qui est essentielle au développement et à la création de l'artiste de 84 ans encore plein d'enthousiasme et nouveaux projets !
Un film à voir absolument, pour sa liberté, sa poésie et sa leçon.