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14 mai 2013 2 14 /05 /mai /2013 10:28

Georges Orwell a écrit son ouvrage « La ferme des animaux » peu avant la fin de la deuxième guerre mondiale et l’a fait publier en 1945.  Le texte est écrit sur le registre de la fable, dans un style assez simple et satirique. La volonté d’Orwell, comme il le dit plus tard dans ses mémoires était de trouver un style « à travers duquel on puisse regarder comme par une fenêtre », c’est-à-dire clair et transparent, facilitant l’entendement. Orwell privilégie la fonction utilitaire de l’écrit pour donner au peuple « la capacité de saisir le monde dans lequel nous vivons ». La fable permet d’exprimer d’une façon distanciée, une histoire et de lui donner une portée générale. Le fait que cette histoire se passe dans une ferme, dont la majorité des protagonistes animaux sont connus, désignés par leur nom, permet à contrario de s’en rapprocher et de vivre « parmi eux », la chronologie des événements.

 

 

L’histoire raconte comment les animaux d’une ferme, la ferme du Manoir, insatisfaits de leur sort et de la négligence des hommes à leur égard, décident de se révolter et d’expulser par la force les quelques humains du domaine. Cette révolution est conduite sous la houlette d’un vieux cochon « Sage l’Ancien » qui disparait peu après les événements. Celui-ci, avec les comités animaux, a décidé que la ferme serait autogérée, que tous les animaux serait égaux, et que l’ennemi irrémédiable demeurerait l’humain. Un certain nombre de règles fondatrices strictes sont inscrites sur les murs de la ferme, tels des commandements impératifs.  Au début, tout se passe bien, et les animaux se révèlent capables de « conduire » les affaires courantes de la ferme, améliorant même sa production. Deux cochons, Napoléon et Boule de Neige, le premier actif et autoritaire, le second stratège et intellectuel, émergent du groupe pour le diriger. Mais Napoléon, qui a élevé des chiens à ses ordres en secret, renverse par la force Boule de Neige et le contraint à s’enfuir du domaine. Brille Babil, un cochon très doué pour les discours et la rhétorique explique alors aux animaux médusés par cette violence contredisant les commandements que ce qui s’est passé est pour leur bien, et que Napoléon saura mieux que quiconque les protéger contre l’ennemi extérieur, les humains. Il dénigre au passage Boule de Neige le fuyard parti certainement se réfugier dans l’une des deux fermes voisines tenue par des humains. Toute tentative de contestation est vaine, rendue impossible soit par le bêlement coordonné des moutons ou les grognements menaçants de la meute de chiens.

 

Napoléon devient rapidement autoritaire et des grands travaux épuisants, tel la construction d’un moulin, sont engagés en plus des taches courantes. Chaque problème ou contrariété dans l’avancement des plans est mis sur le compte de Boule de Neige, le traitre, qui revient parait-il à la faveur de la nuit détruire ce qui a été entrepris. Une atmosphère paranoïaque s’instille progressivement dans la ferme des animaux, des traitres sont dénoncés ou certains avouent spontanément leur forfaiture et sont exécutés.  Brille Babil, explique systématiquement le bien-fondé des mesures entreprises même quand elles contredisent de façon évidente les principes. Les cochons obtiennent progressivement dans le même temps un régime de faveur, et les règles fondatrices sont revues une à une pour les satisfaire.  Du houblon est planté pour qu’ils puissent boire de la bière, ils ont réinvestit le logis de Jones le fermier pour l'habiter et dorment dans des lits…  Brille Babil là encore, corrige habilement la nuit les règles inscrites sur le mur de la grange, les nuançant au profit de son clan.  Rien n’est figé, tout ce qui a été a un moment donné est modifié et la confusion mentale fini par régner parmi les animaux dominés et ahuris. La mémoire du passée est revue, corrigée, racontée sous un jour nouveau, Parfois elle est simplement effacée par de nouveaux discours ou la disparition de ceux qui ont vécu les événements. A la fin de la fable les animaux sont épuisés, dominés, ont perdu leur capacité critique et vivent dans des conditions encore plus dures  qu'auparavant. Napoléon et ses amis apprennent à marcher debout comme des humains et les invitent à la ferme pour jouer au carte.

 

 

Ce que raconte Orwell là, est facilement reconnaissable. Il s’agit de Révolutions, louables par leur volonté initiale mais qui finissent par dériver inévitablement vers le totalitarisme au profit d’une nouvelle hiérarchie concentrant outrancièrement les pouvoir et la fortune. Bien sûr, la fable s’inspire en particulier de la révolution soviétique avec Sage l’ancien en Marx/Lénine, Boule de Neige – Trotsky -, Napoléon – Staline – et Brille Babil que l’on pourrait comparer à l’organe de désinformation officiel du pouvoir soviétique, la Pravda (c’est-à-dire la Vérité). Les  cochons sont évidemment les apparatchiks qui dirigent les différents organes du pouvoir.

 

 

Se dégage de cette histoire le pessimisme réaliste  de l’auteur qu,i engagé quelques années plus tôt comme volontaire dans la guerre d’Espagne (en 1936) pour lutter contre le fascisme Franquiste (soutenu par les allemands et les italiens)  au côté des Républicains (socialistes et anarchistes espagnols ainsi que communistes soutenus par l’URSS ), a vu des luttes fratricides déchirer son propre camp. Il a été notamment horrifié par la désinformation soviétique, sa paranoïa permanente, les exécutions sommaires, les attentats et complots.  Il n’aura de cesse de dénoncer toutes les formes de totalitarismes avec leurs "manies" (telle la manipulation du langage, la délation et la paranoïa) et restera fidèle à ses idéaux anarchistes, libertaires.

 

 

Pour Orwell l’écrivain doit être nécessairement engagé et son Art au service du peuple. Orwell compare l’Art à une forme de propagande Politique et l’utilise lui-même pour propager les idées sociales et libertaires auxquelles il croit fermement.  

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13 avril 2013 6 13 /04 /avril /2013 23:25

Alors que les secousses sismiques de l’affaire Cahuzac continuent de se faire ressentir au sein de la classe politique, populaire et médiatique, suscitant des réactions aussi diverses que la crainte, la stupéfaction, l’indignation et le dégoût, le livre d’Edwy Plenel (fondateur du site d’information en ligne Médiapart à l’origine de la révélation de l’affaire au grand public), « Le droit de savoir », vient à point nommé pour nous expliquer en quoi consiste la mission du journalisme d’investigation au sein d’une démocratie digne de ce nom et en quoi consiste le métier.

 

Les journalistes d’enquête – ou d’investigation, cherchent des faits, des informations utiles aux citoyens et à la société, et les révèlent, en font la publicité c'est à dire les rendent publics. Ces informations servent aux gens à se forger le plus librement possible une opinion (à partir de ces vérités utiles) et à être autonomes dans leurs décisions lorsqu'il leur est possible de participer au fonctionnement démocratique.  Ces nouvelles, pas forcément agréables à entendre, parfois incroyable (dans le sens où elles heurtent les croyances et les convictions) peuvent donner aux citoyens matières à réfléchir, les éclairer, leur donner envie de réformer, et permettre le cas échéant la remise en question du fonctionnement démocratique toujours imparfait face à ses idéaux et au miroir de la dure réalité des faits, et donc donner à la société la possibilité de se renforcer et de s’élever en corrigeant ses défauts.   


La révélation de l’affaire Cahuzac, du nom du ministre du budget dont des comptes personnels étaient dissimulés dans des paradis fiscaux  et donc soustraits à l’impôt (on parle de 15 millions d'euros !), en infraction totale avec la loi fiscale garante de l’intérêt générale et de la solidarité citoyenne était évidemment une mauvaise nouvelle à recevoir pour nombre de gens mais  d’utilité publique pour pointer le dysfonctionnement qui au-delà de l’homme, est celui d’un système dérivant vers l’oligarchie et privilégiant les intérêts particuliers d’un groupe d’élus au détriment de la masse des citoyens. L’onde de choc a eu le mérite d’enclencher un certain nombres d’actions correctives dites de "moralisation de la vie politique" telles que l'obligation de transparence du patrimoine des élus, la lutte contre le blanchiment d’argent et l'utilisation de paradis fiscaux permettant de façon inique de se soustraire à  l'impot et au bien commun. Ce coup de semonce a probablement été entendu par nombre d’hommes politiques, ayant pour certains, oubliés leur mission première au service des intérêts de la nation et des citoyens.

 

Comme le rappelle l'auteur dans sa leçon citoyenne, la démocratie c’est le régime de n’importe qui. Sans privilège de naissance, de fortune ou de diplôme. Chacun à le droit de se mêler à la vie publique, de participer, de s’exprimer, de protester, de manifester, de voter, d’être candidat, d’être élu et même de gouverner. Il y a égalité des droits d’accès à la vie publique, liberté des citoyens à participer à la vie de la cité.  Cet idéal démocratique, toujours recherché et jamais atteint, du « citoyen capable de gouverner et d’être gouverné » tel que le définissait Aristote en son temps, exige évidemment un effort et une capacité de remise en question permanents.  Il s’agit de créer et d’entretenir en les protégeant au sein du système démocratique, les conditions de l’autonomie des individus, leur formation et information. D’instaurer « un processus politique éducatif visant à rendre aussi proche que possible de la réalité du postulat de l’égalité politique » - ce que les grecs anciens appelaient paidea. Cette éducation, ce droit de savoir des citoyens est à la source de la légitimité des journalistes.

 

Edwy Plenel insiste sur le fait que la démocratie est un écosystème complexe et  fragile, aux interactions multiples, en dynamique de recomposition perpétuelle et qui doit entretenir une culture de la contradiction en  acceptant le conflit, la dispute, qui sont les moteurs d’une dialectique permettant le progrès par le dépassement des oppositions.Il importe de favoriser le dialogue, le débat - quelles que soient les opinions -, de faire remonter les faits utiles au débat afin de permettre une amélioration continue et éviter les dérives - humaines, trop humaines -. La vigilance est de mise et les chiens de garde (watchdog) nécessaires pour alerter des dangers.

 

Le journaliste d'investigation est ce chien de garde vital à la sauvegarde d'un système durement conquis. Bien sûr cette conception de la publicité (de rendre public les informations utiles), de la transparence des affaires politiques, des débats publics, des conflits d’intérêt, des décisions de l’exécutif, des manœuvres diverses,   des détournements de fonds, des liens cachés, etc. va à l’encontre des intérêts des oligarchies de pouvoir et financières qui sont à la tête des appareils d'états et malheureusement trop souvents des médias privés et publics.  Ces dernières entretiennent plutôt le culte du secret vis-à-vis du peuple pour dissimuler leurs fins et leurs manoeuvres, s’abritant derrière la notion de « vie privée », de « secrets d’état » ou encore tentant de dénigrer les demandes de transparence en agitant les spectres du populisme ou mieux encore du totalitarisme (qui se manifeste par la demande de transparence panoptique du haut vers le bas et certainement pas du bas vers le haut…). Elles dénigre parfois en dernier ressort l’idée même de démocratie en revalorisant des formes de gouvernement « bonapartistes » semi-autoritaires.  L’oligarchie n’a que trop bien compris que l’information et la formation de tous sont les armes de l’égalité, c’est pourquoi la presse et les médias sont l’objet de tentative de contrôles et de pressions permanentes afin d'en limiter les libertés. A une époque où le débat sur la liberté de la presse était vif, Victor Hugo disait  « La souveraineté du peuple, c’est la nation à l’état abstrait, c’est l’âme du pays. Elle se manifeste sous deux formes : d’une main elle écrit, c’est la liberté de la presse, de l’autre elle vote, c’est le suffrage universel ».

 

Edwy Plenel pointe aussi dans son ouvrage la différence entre la démocratie représentative à faible contrôle pendant la durée du mandat (le peuple délègue sa souveraineté à des élus, leur donne pouvoir de décider en son nom et conformément à des orientations qu’ils lui ont soumises)   et la démocratie participative à forte participation pendant la durée du mandat (pouvoir d’un peuple qui gouverne et se gouverne, intervient et contrôle, initie, participe, se mobilise etc.).   Pour l'auteur la démocratie ne se limite pas simplement à la légitimation par les urnes des gouvernants. Il cite  Pierre Rosanvallon « Un pouvoir ne peut être considéré comme pleinement démocratique que s’il est soumis à des épreuves de contrôle et de validation à la fois concurrentes et complémentaires de l’expression électorale » ou encore  Pierre Mendès-France « La démocratie c’est beaucoup plus que la pratique des élections et le gouvernement de la majorité : c’est un type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l’adversaire ; c’est un code moral ».

 

Il s’agit donc pour qu’un système démocratique réel fonctionne d’avoir un public qui participe à sa vie, qui en soit capable car formé et informé des enjeux et qui ait les moyens de s’impliquer dans les solutions à apporter pour l’améliorer. en s'exprimant régulièrement  La libre circulation de l’information et sa qualité sont donc essentielle à la survie d'un tel système et le journaliste doit pouvoir exercer son métier sans pression. La déclaration des droits de l’homme de 1948 stipule que « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».  La liberté de la presse est donc un droit fondamental des citoyens, l’un des instruments essentiels de leur liberté et elle doit être protégé contre les conflits d'intérêts etles intimidations. Julian Assange, symbole moderne de cette quête de liberté et de transparence, dans son manifeste précèdent la création de Wikileaks en 2006 proclamait « L’injustice ne peut trouver de réponse que lorsqu’elle est révélée, car pour que l’homme puisse agir intelligemment il lui faut savoir ce qui se passe réellement ». L’information publique libre s’avère être un arme de défense stratégique du faible au fort limitant ce dernier dans ses abus potentiels de pouvoir.

 

Le numérique constitue à ce sujet un champ de bataille décisif entre les citoyens et les pouvoirs de toute nature et  oblige les journalistes à redéfinir leur métier. Auparavant ils agissaient comme diffuseur essentiel d’information, comme GateKeeper intermédiaire obligé, mais maintenant que tout un chacun peut relayer ou diffuser facilement et librement ses propres informations par internet, il se doit d’agir  comme un « organe » de contrôle permettant de diffuser une information de bonne qualité, vérifiée, sourcée, expliquée, utile. En effet, les informations importantes sont souvent le fait de citoyens lanceurs d’alertes (Whistleblowers) qu’il faut absolument protéger (secret des sources) et il s’agit pour les véritables journalistes d’investigation de produire des vérités de faits à partir de cette matière première. 

 

Annah Arendt a distingué les verités de raison (fruit du raisonnement, opinions, croyances, démonstrations etc.) des vérités de faits, les plus importantes selon elle pour produire un jugement, basées sur des réalités observées et vérifiées qui sont souvent difficiles à obtenir et à conserver. Fragiles dans leur existence.

  Le processus de production de vérité de faits est un véritable métier d'artisan, répondant à un certain nombre de tâches succédant à l'obtention de l’information initiale : vérifier, sourcer, recouper, confronter, contextualiser. D'un point de vie déontologique, le journaliste doit aussi scrupuleusement veiller à la légitimité de son travail, au fait que la contradiction avec les personnes éventuellement mises en causes soit possible, que ces dernières puissent s’expliquer, que la forme de l’information donnée au public soit modérée et factuelle, et prendre garde à ne pas être habité par une animosité personnelle à l'égard des personnes citées.  


Ce travail exige de la rigueur et beaucoup de courage. Comme le dit Michel Foucault « la parêsia, est le courage de la vérité chez celui qui parle et prend le risque de dire, en dépit de tout, toute la vérité qu’il pense, mais c’est aussi le courage de l’interlocuteur qui accepte de recevoir comme vraie la vérité blessante qu’il entend ». L’état d’une démocratie se jauge aussi bien à sa capacité à exprimer la vérité qu’à sa capacité à la recevoir…

 

Edwy Plenel, dans son ouvrage extrêmement clair et utile, nous rappelle avec intérêt que le journaliste d’investigation fait un métier difficile où il importe d’être rigoureux et courageux et d’être habité par l'idée de sa mission au service de la démocratie, c’est-à-dire au droit de savoir des citoyens afin d'assurer leur liberté et leur autonomie.  Conditions essentielles pour qu'ils puissent en conscience et éclairés participer pleinement à la vie publique.

 

En préambule à ce livre méritoire, Edwy Plenel indiquait « Mais j’aurais atteint mon but si, en refermant ce livre, vous vous dites que la liberté de la presse, quel que soit son support, imprimé ou numérique, loin d’être un privilège de journaliste, est un droit de citoyens ».

Mission accomplie.

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