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8 août 2013 4 08 /08 /août /2013 20:45

Les salauds de Claire Denis est un film qui laisse un sale goût. Je suis ressorti très mitigé de la salle du MK2 Odéon. Le film avec Vincent Lindon, Chiara Mastroianni et Lola Créton avait déjà divisé le festival de Cannes, les uns applaudissant à l’inventivité narrative de la scénariste et réalisatrice, les autres au côté brouillon ou caricatural des thématiques traitées.

 

Commençons par un rapide synopsis: Mario Silvestri (Vincent Lindon) le commandant de bord d’un supertanker reçoit un appel de sa sœur Sandra (Julie Bataille)  : celle-ci lui apprend que son mari s’est suicidé et lui demande de l’aide, elle est manifestement en grande difficulté. Lors de son escale, Mario « lâche » donc son navire et regagne précipitamment Paris. Sa sœur lui brosse une situation catastrophique : l’entreprise familiale de chaussure est en faillite – du fait d’un homme d’affaire véreux avec qui son mari était lié, Edouard Laporte (Michel Subor), leur fille unique est en hôpital psychiatrique car elle vient de faire une tentative de suicide. Mario rencontre le médecin qui lui brosse un tableau très noir de l’état de la jeune fille, droguée, abimée sexuellement. Pourquoi ? Comment ?  Qu'est ce que c'est que cette histoire ?

 

La narration de Claire Denis est très elliptique, les scènes en mosaïque, on voit par exemple la jeune fille déambuler nue dans la rue comme absente à elle-même du sang coulant d’entre ses jambes  – cela fait penser à du David Lynch dans Twin Peaks ou Mullholand Drive – et on ne sait parfois pas si les scènes sont réelles ou fantasmées. Mais ce qui pénètre le spectateur au fur et à mesure qu’il découvre, en même temps que Mario, ces nouvelles informations, c’est le glauque.

 

Fort des révélations incomplètes de sa sœur, Mario entreprend initialement de se venger du « pourri » qui serait le coupable de la mort de son frère  l’homme d’affaire Edouard Laporte et loue le grand appartement au-dessus de chez lui. Il découvre alors sa maitresse (interprétée par Chiara Mastroianni) et la séduit. Peut-être en tombe amoureux. Cette dernière n’aime plus vraiment son amant  mais accepte complaisamment son sort, une vie de nantie solitaire avec son petit garçon comme compagnon qui occupe ses journées. Laporte est rarement là et quand il est là, il est impuissant. Mario s’engouffre dans la brèche, le vide de la femme délaissée et les scènes de séduction et de sexe sont torrides. Est-ce une vengeance ? On sent que Mario avec son pistolet a du mal à passer à l’acte et est pris dans "autre chose", une histoire qui le dépasse. Une rixe dans laquelle il a la main blessée, peut-être par les gardes du corps du magnat semble indiquer qu’il a tenté quelque chose.

 

Et puis il enquête aussi sur ce qui a pu causer la déchéance de sa nièce. Et tombe sur un couple malsain isolé dans une maison de campagne avec qui la jeune fille semblait avoir des activités sexuelles perverses. Dans ce qui semble être un miteux lupanar, au grand divan rouge souillé, Mario retrouve des épis de maïs ensanglantés (et on pense immédiatement à Sanctuaire de Faulkner où une jeune femme est violée de cette manière. Il me semble d'ailleurs de façon plus générale que Faulkner ai été une source d'inspiration dans la façon de raconter l'histoire par bribes décousues, en tout cas beaucoup plus que Les Salauds dorment en paix de Kurosawa...). Les scènes trash de sexe et de viol étaient manifestement filmées pour être monnayées. Plus tard Mario pourra visionner des scènes différentes où sa nièce apparait en compagnie de l’homme d’affaire, Laporte…et de son propre père. La jeune fille semble consentante. Et l’on comprend que les liens entre l’homme d’affaire et le père étaient beaucoup plus malsains et complexes que la description faite initialement par Sandra à son frère. On suppute aussi des non-dits concernant la famille de Mario, la raison pour laquelle il s'en est éloigné, "prenant le large", la passivité complice de la mère...

 

On s’enfonce progressivement dans un univers très noir, et ce de façon non linéaire et décousue, inhabituelle. Sur ce point, je trouve le film plutôt positif. Il innove dans la narration, les acteurs sont globalement bons (Vincent Lindon magistral heureusement !), les images, scènes, saisies des postures et des corps excellentes, c'est la force habituelle de Claire Denis. Mais le scénario sombre par contre dans des clichés chers à l’époque que la cinéaste pressée semble avoir remixé avec un shaker un peu trop rapidement : une pincée de grand bourgeois financier véreux, une entreprise en difficulté, des transgressions en veux-tu en voilà, des déviances sexuelles, une pincée d’inceste, les mensonges de tous les protagonistes, tous des salauds finalement on l’a bien compris... Le « héros » du film finit pas être lui-même happé par toute cette merde et disparaitre avec au final. Trahit. On voit ce film et on a envie de tirer la chasse pour faire disparaitre tout ça, cette noirceur nauséabonde.

 

Claire Denis m’avait habitué quand même à mieux et j’avais crié « au génie » durant plusieurs années pour « Beau Travail ». Comment une femme avait-elle pu aussi si bien filmer la Légion Etrangère - univers masculin par excellence - à Djibouti, deux univers que je connais très bien pour les avoir plus que côtoyés durant plusieurs années...Mais telle un génie fragile, elle est forcément inégale dans sa production, et je lui pardonne cette errance. Cet air rance et morbide. Trop de clichés. Allez Claire, re-filme nous magistralement l'Afrique que tu connais si bien,  les Antilles de 36 Rhums, la négritude, il y a tellement à dire encore sur ces mondes...

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