Par l’acte d’écrire, plus encore que la parole, les pensées confuses, encore embryonnaires en nous, prennent forme, consistance, vie. Par la possibilité posée de la relecture et du re-travail, ces pensées peuvent être ciselées, révisées, pour correspondre au mieux à ce que nous voulons le plus intimement exprimer.
Ecrire à l’argile des mots est un travail noble et porteur de grande potentialité comme celui d’un accouchement. Il peut être laborieux, douloureux ou rapide mais constitue toujours une libération. On parle parfois d’écrivains qui « écrivent avec leurs tripes ». Métaphore appropriée pour signifier la douleur, le soulagement et l'engagement.
Le travail d’écriture est toujours thérapeutique. On écrit pour soi mais aussi pour un autre ou pour des autres, souhaitant ou non un "retour".
L’acte d’écrire peut-être aussi dans des cas extrêmes vécu comme un exorcisme. J’aime beaucoup le film Paranoïd Park de Gus
Van Sant , cinéaste meilleur que quiconque pour parler de l’adolescence. Dans ce film, le jeune Alex commet un crime sans le vouloir. Alors qu’il est monté dans un wagon de
marchandise, un gardien le repère et veux le frapper. Pour se défendre, il lui assène un coup de skateboard. Le gardien tombe sur la voie et est « coupé » en deux par un train… Alex ne semble pas
pouvoir « réaliser » complètement ce qui s’est passé durant cette scène traumatique et entreprends d’écrire dans un cahier ce qui lui est arrivé, comme si c’était une histoire autre, qu'il
nomme « Paranoïd Park » du nom du lieu où le terrible accident s'est passé. Plus tard une amie d’Alex, Macy, voyant son désarroi lui conseillera d’écrire une lettre pour se libérer de
ce qui lui pèse : il suivra les conseils de cette dernière et déchirera les pages de son cahier pour en faire une lettre qu’il brulera ensuite sur la plage. Cet acte symbolique,
cathartique, sera vécu comme une délivrance.
En tant qu’écrivain, donner vie à des personnages très différents peut être l’occasion de « pousser » ses propres contradictions complexes et de voir en témoin curieusement
dépossédé par ses créatures devenues autonomes par la magie de la possession littéraire, à quelles extrémités parfois dramatiques elles mènent. Ainsi la naïveté quasi sainte et
aveugle pourra elle être confrontée par exemple au cynisme le plus réducteur. L’écriture d’un roman peut être l'occasion d'une réconciliation avec soi-même, d’une meilleure compréhension de
ses propres tendances, d'une acceptation.
On peut écrire pour soi essentiellement, pour se clarifier, mais aussi pour souhaiter être lu, partager. Je crois qu’un véritable artiste écrivain écrit essentiellement pour exprimer quelque
chose d’important en lui et que le public dans cet acte créateur n'est pas ce qui prime. Bien sûr une bonne réception de l’œuvre lui sera agréable, mais mineure par rapport à son propre
jugement de lui-même, à l'enjeu de l'enfantement de l'oeuvre.
On peut écrire aussi avec des correspondants ou sur un forum public pour souhaiter être lu. Les réponses et les questions vont « obliger » à clarifier la pensée, à prendre position. Ce peut être
là aussi un véritable travail thérapeutique et le fait même de pouvoir dans ses positions ou « profession de foi » être pris à témoin, recevoir un « feedback » va parfois aider à uhe prise de
conscience, à une mise à distance, à une défusion émotionnelle, au deuil, et permettre éventuellement un changement de comportement.
Ecrire pour soi, Ecrire à un correspondant, Ecrire a un groupe, avec ou sans feedback est dans tous les cas un acte personnel très fort, engageant, qu’il faut considérer avec le respect
qu’il mérite, comme tout acte créateur, pour sa potentialité de changement, de développement personnel.
Nota Bene : l’excellent magazine Wired a publié il ya quelques mois un article très intéressant sur les mécanismes de
feedback comme moteurs du changement comportemental et je pense que l’écriture avec feedback rentre parfaitement et de façon puissante dans ce cadre.
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