[Télévision] Koh Lanta ou la fabrication du consentement

Note : cet article est une "copie" d'une réponse que j'ai écrit sur le forum Doctissimo et qui traitait de la manipulation en entreprise. L'objet était aussi de décrire comment, en dehors de l'entreprise un certain nombre de programmes télés ou de spectacles, promeuvent la compétion la plus abjecte.

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Qu'est ce qui est implicitement dit dans Koh Lanta et ça fait penser à quoi par ailleurs ?

1/ Le recrutement
En introduction à l'émission nous avons droit à un portrait détaillé de chacun des heureux et chanceux sélectionnés parmi une foule de postulants. Les candidats sont déjà présentés comme ayant obtenu leur ticket d'entrée dans cette fabuleuse entreprise, dans l'aventure où il va falloir se donner sans compter.  Les moins chanceux restent au rang de demandeurs d'emplois.

2/ Les groupes
Les groupes de départ sont hétérogènes, une diversité d'apparence y est entretenue. C'est bien d'avoir un baroudeur, une grande gueule, un timide et sensible, des blancs, blacks, beurs, un chef d'entreprise, ouvriers, homme, femme, gay etc...
Les deux groupes sont constitués arbitrairement et chacun va devoir faire des efforts pour s'intégrer, montrer sa "valeur ajoutée", composer malgré les divergences. On ne choisit pas ses collègues. Il faut faire au mieux avec.

3/ Individualisme vs Esprit d'équipe
Au début du jeu, la taille de l'équipe est suffisamment grande pour que les premiers éliminés le soient d'eux mêmes. La compétition est néanmoins entretenue par les épreuves individuelles d'immunité durant lesquelles les "protégés" pourront assister au prochain licenciement tel un délégué syndical ou membre du CE au statut de salarié protégé. Des alliances secrètes se font assez rapidement au début du jeu en vue de se soutenir le plus longtemps possible pour espérer accéder un jour au moins au fameux carré final. Les épreuves entre les deux groupes favorisent bien entendu l'esprit d'équipe mais aussi dès que l'échec se fait ressentir, l'élimination nécessaire des "maillons faibles".

4/ Soigner son image
Chacun va faire des efforts pour contribuer à la survie et au succès du groupe. génération du feu, collecte de fruits, abris, pêche, cuisine, trouvailles diverses. L'image sera particulièrement et souvent faussement cultivée pour "aider" son prochain, avoir des attentions individuelles, nouer des alliances solides, des connexions (comme au jeu de Go) pour éviter qu'un quorum d'avis négatifs menaçant ne se cristallise avant un Conseil. Déjà les manipulations, ragots et coups bas commencent à poindre. Il faut faire bonne figure tout en ménageant ses arrières.

5/ Réunification
La réunification peut être vue comme une réorganisation de deux départements durant laquelle deux managers vont devoir s'accorder pour des raisons budgétaires à se séparer d'un membre de l'équipe au risque éventuel si la décision ne peut être prise d'y "passer" eux même. Le plus habile en négociation va l'emporter sur le plus près à remettre en cause sa parole.
Enfin les deux équipes se retrouvent sur la même île (lieu géographique) et des coalitions solides vont perdurer souvent jusqu'à la fin du jeu mais agrémentées de quelques tentatives de retournement, débauche des anciens concurrents "clefs". Certains vont franchir le pas, ainsi assurés de parvenir au carré final.
Le prix à payer pour cela étant de ne pas tenir sa parole et d'être pragmatique - après tout ce n'est qu'un jeu - et ce qui compte c'est de tenir bon vers "l'objectif".

6/ C'est la règle du jeu
Au fur et à mesure que la fin s'approche, les tensions vont s'exacerber. Vont être impitoyablement éliminés : ceux qui n'ont pas su être suffisamment stratèges - à savoir faire des alliances solides et remettre en question éventuellement leurs paroles ou valeurs. Bref, être adaptables. Les plus méritants vont aussi être progressivement éliminés car ils représentent des obstacles et des risques potentiels à la progression vers le sommet de la pyramide. Le jeu est impitoyable et chacun s'y prête, déployant des trésors de dissimulation pour rester faussement modeste, faussement amical, stratège vis à vis des quelques collègues encore survivants, naïfs aux émotions transparentes. 

7/ The winner takes all
Le gagnant remporte tout ! 100 000 Euros pour avoir été jusqu'au bout de l'aventure et s'être hissé au sommet de la pyramide à force de tenacité, de compromis, de ruse et fausse modestie. Le Mérite intellectuel, physique ou d'aptitude à la survie n'a évidemment rien à voir avec cela. Le vote final de l'ensemble des participants élimine le plus fourbe des deux finaliste mais à mon sens le gagnant peut bel et bien lui donner des leçons sur ces valeurs qui sont privilégiées dans le monde de l'entreprise. Un collègue resté longtemps au comité de direction de mon entreprise disait qu'il se comparait à un varan. Etre tenace, discret, supporter les intempéries, ne pas trop se mettre en avant, savoir se planquer quand il faut, avoir le cuir tanné pour supporter les humiliations, et un mental d'acier à l'idée de gagner le gros lot.
Pour les autres - eh ben, ils ont eu la chance de faire partie de l'aventure; ils ont eu leur petit moment de notoriété télévisuelle - et donc de sensation d'exister - ou de honte pour certain. Ils leur reste au moins leur généreux émoluments, versés au SMIC horaire.

Bref, abreuvés de ce genre d'émission fabriquant le consentement de tous à l'hyper-libéralisme, à la compétition absolue, comment s'étonner que personne ne s'étonne plus que des dirigeants en haut de pyramides gagnent en moyenne 400 fois plus que des smicards ou que des amuseurs courant sur un terrain pour taper dans des ballons gagnent 400 fois ce que gagne un chercheur au CNRS.

Mais bon, lot de consolation, les smicards et autres classes moyennes déclassées on leur fait cadeau à pas cher des écrans plats et on leur apprend à dépenser.

C'est plus facile que de penser.

C'est certain.

Bon spectacle !