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12 mars 2013 2 12 /03 /mars /2013 17:42

Dans ce court essai, le philosophe Jean-Claude Michéa retrace l’histoire de la gauche depuis la révolution française et, à la lumière de cette histoire, permet de mieux comprendre ses contradictions actuelles, notamment entre les systèmes de valeurs du socialisme  et du libéralisme.

 

Car force est de constater que depuis les années Mitterrand, la gauche est devenue de plus en plus libérale, au détriment d’une partie de son électorat constitutif, syndical, ouvrier, populaire. Ce « petit peuple » de gauche, déçu, a pour partie rejoint les « extrêmes » populistes tels que le Front National car ne se reconnaissant plus dans les valeurs défendues par la gauche libérale.

 

Or l’histoire, et la lecture de Jean-Claude Michéa, montrent avec surprise au lecteur tel que moi (c’est-à-dire peu cultivé en matière d'histoire et de politique entre la révolution de juillet 1789 et mai 1968), qu’en fait la gauche des origines, révolutionnaire, était libérale, et s’était constituée en revendiquant ces idées libérales propagées par les Lumières.

 

En effet, au moment de la Révolution, un premier clivage est apparu entre ceux qui étaient favorables à l’ordre ancien, monarchique et clérical, c’est-à-dire la droite originelle, et ceux qui étaient libéraux et voulaient pouvoir profiter de leur liberté individuelle d’entreprendre et de commercer « sans entrave », de leur petite propriété, c’est-à-dire les bourgeois, petits-bourgeois, commerçants et artisans, la gauche des origines...

 

Les mouvements syndicalistes et ouvriers naissants avec l’essor industriel se sont déclarés d'abord quant à eux, apolitiques, au sens où ils ne se reconnaissaient  dans aucun des deux camps. Ces mouvements, après la propagation des idées de Marx et d'Engels, étaient favorables à la Grande Industrie, au Progrès, et la collectivisation des moyens de production, c’est-à-dire au final à l’exact opposé des idées de la gauche libérale d’origine défendant la petite propriété, libre, et la petite capacité de production.

 

C’est à la suite de l’affaire Dreyfus, devant le risque de voir le retour de l'ordre "ancien", monarchique et clérical, que les deux groupes, ouvriers socialistes et petits-bourgeois libéraux ce sont unis sous le vocable de "gauche" , bien que ne partageant ni les mêmes idées ni le système de valeur.

 

Progressivement, les idées de Marx ont gagné en importance au sein de cette gauche « post-Dreyfus », érigeant en nouvelle religion le Progrès et remportant des luttes sociales importantes en défendant les intérêts de la classe ouvrière et plus généralement des salariés.Le mythe du Progrès défendu religieusement a aussi conduit à une forme de positivisme, de croyance que tout ce qui est « nouveau » est  forcément mieux que ce qui est « ancien » ( et peut expliquer, encore aujourd'hui, cette tendance de la gauche à vouloir sans fin « avancer », « transformer », « changer » en s'appuyant sur la  raison scientifique). Avec le passage progressif  vers le socialisme ouvrier, nombre de libéraux bourgeois, commerçants aisés, ont migré progressivement vers une droite qui elle, défendait mieux et avec conviction la propriété privée, tout en étant devenue dans le temps moins encline à souhaiter ou penser possible le retour  de « l’ordre ancien », mais en gardant comme étendard la défense des valeurs traditionnelles (famille, religion etc.) tout en devenant par contamination des nouveaux arrivants, elle aussi libérale. La droite est donc devenue progressivement libérale et « bourgeoise » avec un système de valeur « conservateur » et la gauche est devenue socialiste, progressiste,   avec un fond de libéralisme des origines.  

 

C’est dans les années 80 que Mitterrand a renoué franchement avec le libéralisme sans complexe.

 

Et on comprend mieux aujourd’hui les contradictions internes de cette « gauche ». Car qu’y a-t-il de commun et de cohérent entre un Strauss-Kahn(ex patron du FMI symbole de la libéralisation de l'économie mondiale) ou même un François Hollande ou encore  un Manuel Valls qui assument parfaitement le libéralisme et la mondialisation, la compétition libre de tous contre tous, avec le marché et sa « main invisible » régulatrice pour gérer les équilibres, et le « droit » comme seul juge de paix, et de l'autre coté un Jean-Luc Mélenchon ou un Arnaud Montebourg s’opposant violemment aux délocalisations et défendant, autant que faire se peut, les intérêts de ce qui reste de la classe ouvrière et salariée, prolétarisées. 

 

Bref, on comprend que, à gauche comme à droite, le libéralisme a gagné et qu’il n’est plus vraiment débattu, chaque élection, y compris par le jeu des alternances, ne remettant pas du tout en cause le paradigme libéral.  On comprend aussi mieux pourquoi les victoires du libéralisme sont essentiellement conduites par la gauche car difficile à faire passer avec le « système de valeur » conservateur et religieux hérité par la droite. Ainsi du mariage gay par exemple. 


J.C. Michéa nous montre, de façon inquiétante, que le système libéral conduit à défaire toutes les formes d’appartenance ou d’identité qui n’ont pas été librement choisies par les individus (appartenance sexuelle, famille, apparence physique etc.) et que celles-ci sont présentées comme potentiellement oppressives et discriminantes. Le libéralisme façonne des individus « libérés » et affranchis de toute appartenance ou contrainte morale ayant le même accès au marché, produisant et consommant.  Des monades parfaites avec leurs propres particularités et leurs propres fins. Assumant leur intérêt personnel, c’est-à-dire leur égoïsme, érigé en « moteur » (le meilleur tour de passe-passe des penseurs libéraux ayant été de présenter l’égoïsme individuel comme une qualité essentielle au système global régulé par « une main invisible » - cf Adam Smith).  Bien sûr donc, cette émancipation de l’individu libéral est sans fin et passe par une « mobilité morale » totale, la possibilité de migrer vers d’autres cieux, d'autres croyances et d'autres valeurs choisies, en s’affranchissant des dettes symboliques qui ont été au fondement du lien social, c’est-à-dire les logiques du don et du contre-don (cf Marcel Mauss), ou encore la logique de l’honneur.  Tel un adolescent devant s’affranchir et résoudre son oedipe, l’individu moderne est encouragé à s’affranchir totalement « pour jouir paisiblement de son indépendance privée » et pour pouvoir consommer sans entrave.

 

Bref, le vocable de « gauche » est aujourd’hui bien difficile à porter pour quelqu’un qui ne se sent pas vraiment libéral mais souhaiterait voir une renaissance forte du lien social. Et le philosophe de dire que doit émerger un nouveau « signe » et discours qui permettrait de rassembler tout ce peuple qui souffre du libéralisme déchainé et ne se reconnait pas, plus, dans la « gauche » actuelle, car trop contradictoire, et finalement libérale conformément à ses origines.

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