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6 septembre 2010 1 06 /09 /septembre /2010 10:35

Il y a quelques années,  je me plaignais de me sentir comme "un étranger" au monde réel. Une copie d'un extrait de mon journal de l'époque peut donner une meilleure idée de cet état :

 

 

"Un certain nombre de phénomènes de perception m’inquiétaient, mais j’étais incapable de les expliquer, de les relier à quoi que ce soit de tangible, et je pensais que c’était probablement dû à l’âge : je me sentais de plus en plus « coupé » du monde qui m’entourait depuis quelques années sans parvenir à comprendre ce qui m’arrivait. Les lieux, les choses, les gens m’apparaissaient de plus en plus comme des « objets », comme des choses faisant partie d’un paysage dont je ne faisais plus partie. Je demeurais dans la position d’un observateur extérieur à tout, y compris à moi-même. C’était particulièrement sensible lorsque je prenais de courtes vacances à l’étranger ou allait à la campagne. Même les lieux les plus exotiques ou ceux de mon enfance, ceux dont j’aurais du encore être le plus proche me semblaient étrangement vides, factices comme des décors de théâtre. Je ressentais une véritable difficulté à « être présent en ces lieux » et c’était une impression difficilement exprimable avec des mots car les mots eux même mettaient encore plus de distance à cette distance déjà perçue. J’étais un spectateur extérieur regardant une scène sans pouvoir s’absorber dans celle-ci, car peut-être trop rabâchée, trop analysée, trop pensée. C’était la position d’un critique « qui a déjà tout vu » et qui va s’attarder sur les éléments du décor, sur la mise en scène, la trame, le sens caché au détriment de la vie présente". 

 

Cette impression très personnelle me semble aujourd'hui - avec le recul - être celle de nombreux occidentaux qui à travers leur culture, leur éducation, sont enclins à la réflexion permanente, à l'analyse de tout. Maleureusement la somme des objets et la profondeur de l'analyse sont impuissants à redonner l'impression d'un Tout émergent et satisfaisant subjectivement. Le cogito cartésien, l'apprentissage dès le plus jeune âge au processus d'objectivation, le développement de la capacité d'abstraction nécessaire à la pensée scientifique - tous ces merveilleux outils et apports de la culture occidentale qui ont permis le progrès - peuvent aussi grandement éloigner l'individu de son corps. La philosophie occidentale a aussi fait la part belle à la réflexion au détriment de l'expérience (Peu de philosophes occidentaux comme Heidegger ou Merleau-Ponty par exemple, ont exploré une philosophie de la présence (Dasein) , de la phénoménologie en se rapprochant de l'expérience du corps).

 

Suite à un break dans mon activité et à un formidable voyage dans le nord de l'Inde, j'ai été initié à la méditation Vipassana qui est une forme de méditation particulière visant à l'amélioration de l'attention, au développement de la Présence. Bien que critique vis à vis des croyances bouddhistes associées à cette pratique, je considère celle-ci aujourd'hui comme formidable pour se réapproprier son corps et redévelopper sa Présence au monde.

 

Les premiers stades de l'apprentissage de la méditation Vipassana démontrent essentiellement au pratiquant que l'attention réelle est extrêmement dure à développer. Il est demandé aux élèves, pendant plusieurs jours, de se concentrer sur un seul objet précis : par exemple les sensations corporelles pures qui apparaissent en un point du corps, le petit triangle entre la racine du nez et le haut de la lèvre supérieure. Il s'agit de ressentir n'importe quelle sensation sans mot ou interprétation. Au début, au bout d'une minute souvent, des pensées apparaissent et l'esprit vagabonde entre le passé et le futur, les images et les dialogues intérieurs ont lieu, apparaissent sans qu'on y prenne garde. Il est demandé à l'élève - dès qu'il prend conscience de cela - de revenir à l'exercice sans frustration et sans forcer, tranquillement et systématiquement...  Le méditant s'aperçoit alors avec stupéfaction que, dans la vie courante aussi, il est rarement "présent" à ce qu'il fait et quasiment en permanence absorbé dans des pensées et autres transes diverses.

 

Il s'agit dans cette pratique, non pas d'apprendre mais de désapprendre. De se dépouiller autant que possible durant l'exercice, de l'interprétation et du langage  - écrans du monde réel - pour se rapprocher autant que possible de la pure expérience du monde au présent. Redévelopper une plus grande attention sensorielle, une plus grande présence dans la vie quotidienne, aux gestes, aux actions, au corps.

 

Un jour, je demandais à un grand spécialiste de l'hypnose ericksonienne ce qu'était "la transe". Il me regarda et me répondit par une question très pertinente : "Demande toi plutôt quand tu n'es pas en transe".  La transe hypnotique étant effectivement caractérisée par des phénomènes d'absorption de l'attention vers l'intérieur de soi. Et de multiples autres formes de transe (transe relationnelle, culturelle etc.) ont lieu de façon quasi permanente pour l'individu qui se prétend éveillé (Cf Adam Crabtree) : absoption dans une discussion, dans un spectacle, dans la télévision, dans la réflexion, dans un dialogue intérieur, une réverie etc.

 

Différentes pratiques initiatiques, à travers le monde, visent non pas à "induire la transe" mais à "sortir de transe". C'est le cas par exemple de "l'Art du Guêt" dans le chamanisme ou de la "Méditation attentive" dans le bouddhisme.

 

Ces pratiques visent toutes à rencontrer un état qui peut être qualifié "d'Eveil", de "Satori", "d'Expérience directe", ou encore de "Transe zéro". Un état paradoxal qui est celui de l'attention pure dépouillée des artifices du langage et qui n'est plus que pure Présence dans un temps aboli.

 

 

 

 

 

 

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